Loi C 28 : Première amende pour un dirigeant d’entreprise
Le CRTC a annoncé que Ghassan Halazon vient de payer à titre individuel une amende de 10 000$ pour se dégager de sa responsabilité en tant que PDG, des violations de la Loi Canadienne anti-pourriel (LCAP ou Loi C28) qui ont été commises par la compagnie qu’il dirigeait à l’époque. C’est la première fois qu’une amende est donnée à un dirigeant d’entreprise et il y a plusieurs leçons à en tirer.
L’application de la Loi C 28 se durcit
Plusieurs observateurs ont interprété à tort la décision du gouvernement de reporter le droit aux recours civils et collectifs à la fin de l’année comme un signe d’assouplissement de l’application de la Loi Canadienne anti-pourriel. Ce n’est pas le cas et cette nouvelle amende le démontre clairement.
Le CRTC a toujours indiqué qu’il estimait que les trois années de transition dont les entreprises ont bénéficié pour mettre en place leur programme de conformité étaient suffisantes et que celles qui ne l’ont pas encore fait n’ont aucune excuse. Il est clair qu’il sera beaucoup plus agressif dès la fin de cette période de grâce le 1er juillet prochain. D’ailleurs, Steven Harroun, cadre en chef de la conformité et des enquêtes du CRTC déclarait dans une conférence récente :
La réception de courriels commerciaux constitue la principale source de plainte des Canadiens qui signalent des cas nécessitant une enquête de suivi, et vous – ou votre organisation – pourriez être tenus responsables de l’envoi de ces courriels commerciaux. Les courriels comptent pour plus des trois quarts des incidents qui nous sont signalés.
(…)
Chaque entreprise devrait avoir un programme de conformité pour contribuer à garantir que chaque message commercial ou de télémarketing est conforme. Si vos pratiques sont un jour remises en question, un programme de conformité exhaustif pourra vous aider à établir une défense basée sur la diligence raisonnable.
(…)Mais permettez‑moi d’être clair, la LCAP et les règles sur le télémarketing non sollicité ne sont pas nouvelles, et l’ignorance n’est pas une défense valable.
Considérons les choses de cette façon : si je fais un virage en U sur l’autoroute 401 et je dis à l’agent de police qui m’intercepte que je ne savais pas que c’était interdit, il me donnera tout de même une contravention.
C’est la même chose lorsque surviennent des violations aux obligations prévues dans ces documents. Il y aura des conséquences. Dans le meilleur des cas, il pourrait s’agir de sanctions administratives pécuniaires ou de l’obligation de mettre en œuvre un programme de conformité. Au pire, votre entreprise sera placée dans une position honteuse qui tiendra son personnel des relations publiques occupé pendant un long moment.
Le message est clair, d’ici deux semaines, on va passer de quelques amendes par an à plusieurs amendes par mois comme c’est le cas pour la LNNTE dont le CRTC gère l’application depuis 10 ans.
Les raisons de l’amende de monsieur Halazon
En 2009, Monsieur Halazon a fondé Cough Commerce, l’entreprise qui a lancé le site d’achats groupés TeamBuy.ca en 2010 et qui a racheté Dealfind.ca en 2013. La fusion n’ayant pas donné les résultats escomptés, l’entreprise a du se mettre sous la protection de la Loi de la faillite le 29 août 2014 avant d’être rachetée le 24 septembre 2014 par nCrowd, une entreprise américaine spécialisée dans le rachat de ce genre de sites en difficulté.
Selon le CRTC, entre le 2 juillet et le 9 septembre 2014, TeamBuy aurait envoyé plusieurs courriels avec un mécanisme de retrait qui fonctionnait mal ou qui était trop compliqué créant ainsi une violation de la Loi C 28. Ghassan Halazon étant à l’époque le PDG de l’entreprise, il s’est retrouvé dans le collimateur du CRTC en vertu de l’article 31 de la LCAP qui énonce que :
Administrateurs, dirigeants, etc.
31 En cas de commission par une personne morale d’une violation, ceux de ses dirigeants, administrateurs ou mandataires qui l’ont ordonnée ou autorisée, ou qui y ont consenti ou participé, sont responsables de la violation, que la personne morale fasse ou non l’objet de procédures en violation.
Face à cette situation, et probablement après un important et coûteux effort de négociation de ses avocats, monsieur Halazon a décidé de payer une amende de 10 000$ et de s’engager à mettre en place un programme de conformité rigoureux dans sa nouvelle compagnie Transformational Capital Corp. afin de régler le dossier.
Dirigeants et administrateurs sont personnellement exposés
L’article 31 sur lequel repose cette amende fait partie des nombreuses dispositions de la Loi C 28 que peu de gens connaissent et dont les médias n’ont quasiment jamais parlé. Pourtant, il fait disparaître la protection corporative et rend personnellement responsables les dirigeants et administrateurs sous l’autorité desquels des violations à la LCAP sont commises.
Ce qui donne un éclairage particulier à la menace du Chef de la conformité du CRTC :
La réception de courriels commerciaux constitue la principale source de plainte des Canadiens qui signalent des cas nécessitant une enquête de suivi, et vous – ou votre organisation – pourriez être tenus responsables de l’envoi de ces courriels commerciaux.
Un timing particulier
La Loi C28 est entrée en vigueur le 1er juillet 2014 et TeamBuy est tombée en faillite deux mois plus tard. Pourtant le CRTC a investi presque trois années d’enquête pour des courriels envoyés sur cette très courte période. Cet acharnement va à l’encontre du discours rassurant que le CRTC tient dans ses relations publiques :
- Elle démontre que la notion de période transition n’est pas vraiment considérée et que le CRTC s’attend à ce que les entreprises soient conformes depuis le 2 juillet 2014 ;
- Elle vise une entreprise qui n’est plus en activité depuis longtemps alors que le CRTC clame partout que les amendes ne sont pas punitives mais servent à forcer les entreprises à se conformer ;
- En donnant une amende près de 3 ans après les faits, le CRTC démontre que le temps n’affaiblit pas le risque d’amendes.
Une décision publiée en douce
Il est également surprenant de constater qu’alors que le dossier a été conclu le 12 juin dernier, le CRTC a attendu le vendredi après-midi pour le publier sur son site web sans émettre de communiqué de presse. Une approche souvent utilisée en politique quand on veut s’assurer que les journaliste n’en parlent pas.
Pourtant le CRTC affirme partout que son seul but est de pousser les entreprises canadiennes à mettre en place leurs programmes de conformité Comment penser qu’une décision puisse avoir un effet sur les entreprises si le CRTC fait tout ce qu’il peut pour qu’elles n’en soient jamais informées ?
Êtes-vous assuré ?
De plus en plus d’organisations souscrivent des polices d’assurances pour protéger les dirigeants et administrateurs, appelées D&O. Une pratique courante dans les OBNL pour protéger ceux qui officient souvent bénévolement mais qui commence à se développer également dans les PME.
Une police couvrant les erreurs et omissions (E&O) faites dans le contexte professionnel peut également fournir une intéressante protection face aux risques de la Loi C28.
Par contre, de plus en plus d’assureur commencent à exclure la LCAP des risques couverts lorsque l’entreprise ne peut démontrer qu’elle a mis en place de programme de conformité complet, il serait bon de faire le point avec votre courtier ou votre agent pour vérifier votre couverture à ce niveau.
En conclusion
Chaque décision ou conférence du CRTC lève un peu plus le voile sur leur approche dans la gestion des enquêtes et des amendes, une bonne façon de comprendre leur logique afin de mieux interpréter les nombreux flous de la Loi C28. Et à chaque fois, le CRTC nous surprend par le caractère draconien de son interprétation de la Loi et de ses décisions qui ne semblent prendre aucunement en compte le contexte des violations sanctionnées et leur impact réel.
Face à une telle rigidité, il faut prendre au sérieux le conseil du patron de l’équipe d’enquêtes du CRTC :
Chaque entreprise devrait avoir un programme de conformité pour contribuer à garantir que chaque message commercial ou de télémarketing est conforme. Si vos pratiques sont un jour remises en question, un programme de conformité exhaustif pourra vous aider à établir une défense basée sur la diligence raisonnable.
Sachant que les courriels que votre entreprise et vos employés envoient aujourd’hui pourront encore vous hanter pendant plusieurs années, il devient urgent de faire le point sur votre conformité et de prendre les mesures éventuellement nécessaires pour vous protéger des amendes. N’hésitez pas à en parler gratuitement avec un de nos experts en remplissant ce formulaire .
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