La Loi C-28 n'est pas une loi anti-pourriel

La Loi C-28 n’est PAS une loi anti-pourriel !

Vous connaissez surement ce tableau de René Magritte intitulé « La trahison des images » et qui représente une pipe mais indique que ce n’en est pas une. Dans le cas de la Loi C28, j’aurais pu intituler cet article « La trahison des communications gouvernementales ».

En utilisant l’expression Loi Canadienne anti-pourriel (LCAP) pour parler de la Loi C28, le gouvernement crée une confusion majeure qui affecte médias et entreprises. Une véritable législation anti-pourriel n’affecterait que les pratiques qui peuvent être considérées comme du pourriel, c’est à dire les envois en masse de contenu promotionnel, alors que la Loi C-28 réglemente tout message électronique envoyé dans un contexte commercial, peu importe le nombre de destinataires et la présence ou non de contenu promotionnel. Son étendue, sa complexité et son mode d’application en font en fait le premier Code de la route des « autoroutes électroniques ».

Un peu d’histoire

Revenons un siècle en arrière, en 1903 exactement. La première voiture à moteur arrive à Montréal. L’année suivante, il y en à 48 et celle d’après, plus de 100. La cohabitation de ces « machines » (nom donné aux automobiles à l’époque) avec les voitures à cheval, les tramways et les piétons qui sillonnent déjà les rues devient de plus en plus problématique. De plus en plus de citoyens maudissent ces machines bruyantes et malodorantes qui font peur aux chevaux et tuent un premier piéton. C’est dans ce contexte qu’en 1906, le gouvernement du Québec adopte la première « Loi concernant les véhicules-moteur » qui oblige chaque propriétaire à enregistrer son véhicule auprès du trésorier provincial qui doit évaluer subjectivement la capacité de conduire du demandeur.

Alors que le trésorier provincial se trouve dans une situation de plus en plus difficile en ayant à évaluer son voisin, son beau-frère ou son cousin, le nombre de véhicules à moteur se multiplie. En 1924, le gouvernement adopte donc le premier Code de la route du Québec qui établit les règles à respecter dans la conduite d’une véhicule à moteur. Il tient sur une feuille mais fait réagir les clubs automobiles qui craignent qu’il ralentisse le développement de l’automobile au Québec. Dans les faits, en 1928, le Québec compte 165 000 automobiles, autant pour le ralentissement.

La Loi C28, code de la route des autoroutes électroniques

C’est un peu la même chose avec la Loi C28 que les lobbys ont accusé de vouloir interdire le marketing par courriel au Canada.

Le nom officiel de la Loi C-28 n’est pas Loi Canadienne anti-pourriel (LCAP) comme les communications du CRTC pourraient le laisser croire. Non ! Son titre exact est plutôt « Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications (L.C. 2010, ch. 23)« .

Ce titre explique clairement que le but de la Loi est de favoriser le développement des affaires électroniques dans un contexte de confiance des consommateurs et que pour cela elle vient modifier quatre législations importantes. Et les études montrent que non seulement la Loi a permis de réduire le volume de pourriels reçus par les canadiens mais que depuis son entrée en vigueur, les taux d’ouverture et de clic sont de nouveau en croissance.

Malheureusement, trop d’entreprises ont décidé, à tort, de réduire voir arrêter leur marketing par courriel pour éviter les amendes et les procès. En vain, parce que même si vous n’envoyez  plus d’infolettre ni de promotions par courriel, vous risquez néanmoins de violer la Loi et de le payer sous forme d’amende ou de procès. Parce que la Loi C28 réglemente TOUS les messages électroniques commerciaux, pas juste les envois promotionnels.

La Loi C-28 régit vos courriels d’affaires

Quand je discute de la Loi avec des entrepreneurs ou des responsables marketing, en général ils m’énumèrent spontanément les mesures qu’ils ont prises pour rendre leurs infolettres conformes. L’un a mis en place un formulaire d’abonnement, tel autre utilise une plateforme de courriel pour avoir un lien de désabonnement automatique dans le bas de ses infolettres. Mais lorsque je leur demande ce qu’ils ont fait pour que les courriels commerciaux que leurs employés envoient à longueur de journée soient également conformes, leurs yeux s’arrondissent.

Pourtant, tout comme le premier Code de la route en 1924 touchait tout véhicule à moteur quelque soit sa cylindrée ou son utilisation, la Loi C28 régit tout message électronique envoyé dans un contexte commercial, pas seulement les infolettres ou les messages promotionnels.

Une loi anti-pourriel traditionnelle comme le Can-Spam Act aux États-Unis réglemente les envois dont le contenu est principalement promotionnel et laisse toute liberté aux entreprises pour gérer le reste de leurs courriels. Mais la Loi C-28 exige que TOUT message électronique (courriel, infolettre, SMS, etc.) commercial respecte sa centaine de règles, notamment au niveau du consentement préalable, du contenu du message, de l’identification de l’expéditeur, du mécanisme de retrait que de sa présentation. Son champs d’application est tellement large que le législateur a du prévoir une série d’exceptions, notamment pour les messages de levée de fonds d’organismes de charité ou de partis politiques. Si vous n’êtes pas un tel organisme, partez du principe que 99% des messages qui sortent de votre entreprise sont réglementés par la Loi C28.

C’est pour cela qu’elle doit être considérée comme un véritable Code de la route des communications électroniques et non pas comme une simple loi anti-pourriel.

Une centaine de règles que chaque message doit respecter

Quand je discute de la Loi avec des entrepreneurs ou des responsables marketing, en général ils m’énumèrent spontanément les mesures qu’ils ont prises pour rendre leurs infolettres conformes. L’un a mis en place un formulaire d’abonnement, tel autre utilise une plateforme de courriel pour avoir un lien de désabonnement automatique dans le bas de ses infolettres. Mais lorsque je leur demande ce qu’ils ont fait pour que les courriels commerciaux que leurs employés envoient à longueur de journée soient également conformes, leurs yeux s’arrondissent. Ils croient à tort que la Loi C-28 est une loi anti-pourriel donc qu’elle ne concerne pas les courriels envoyés à une personne et malgré leurs efforts de bonne foi ne sont pas conformes et restent exposés aux amendes et procès.

Si certaines entreprises sont conscientes que leurs courriels individuels doivent également respecter la Loi C28, ils ne pensent qu’aux exigences de consentement et oublient complètement l’exigence de mécanisme de retrait. Par exemple, vous devez ajouter à la signature de toutes les adresses courriels de votre compagnie, une formule du style « Si vous ne souhaitez plus recevoir de messages commerciaux de notre entreprise, veuillez nous l’indiquer en répondant à ce message« sinon vos courriels violent la Loi car ils n’offrent pas de mécanisme de retrait tel qu’exigé.

De la même façon qu’un policier zélé trouvera toujours un prétexte dans le Code de la route pour vous mettre une amende s’il le veut, la Loi C28 est tellement complexe et floue qu’il est à peu près impossible d’être totalement conforme. D’où l’importance de mettre en place un programme de conformité. C’est quoi ça, allez-vous me demander ? Le programme de conformité est à la Loi C28 ce que le permis de conduire est au Code de la route. Avec deux petites nuances : bien que fortement recommandé par les autorités, il n’est pas obligatoire. Par contre, dans la plupart des cas il permet d’éviter les amendes et les procès.

Une assurance contre les amendes et les procès

Tenant compte de la complexité de la Loi et du flou qu’elle comporte tant que les tribunaux n’auront pas établi une jurisprudence suffisante, le législateur a prévu un moyen de défense pour protéger les entreprises honnêtes, la défense de bonne diligence. C’est l’article 33(1) de la Loi qui précise que « Nul ne peut être tenu responsable d’une violation s’il prouve qu’il a pris toutes les précautions voulues pour prévenir sa commission ». 

Cela implique qu’une entreprise qui peut démontrer qu’elle a fait ses devoirs pour respecter la Loi ne peut recevoir d’amende ni être condamnée dans un procès si elle viole accidentellement la Loi. Le CRTC a établi que précautions voulues signifiait mettre en place un programme de conformité documenté qui respecte huit catégories d’exigences.

Un tel programme de conformité implique notamment de vérifier les pratiques de l’entreprise puis de mettre en place une politique de conformité écrite et de s’assurer que tous les employés la respectent au quotidien dans leurs communications électroniques. C’est comme quelqu’un qui n’a pas le permis mais sait conduire qui suit une séance avec un instructeur qui identifierait et corrigerait ses défauts pour s’assurer qu’il puisse passer l’examen de la SAAQ sans problème.

L’avantage c’est que tant que l’entreprise est de bonne foi et applique sa politique et ses mécanismes de conformité, ce programme de conformité devient un permis qui la protège des amendes et des procès si jamais elle violait accidentellement la Loi. Une protection que le permis de conduire n’apporte (malheureusement) pas.

À moins que vous ayez totalement supprimé le courriel, les SMS et les réseaux sociaux de votre entreprise, la seule façon de vous protéger de la Loi C-28 est de « passer votre permis de communications électroniques », c’est à dire de mettre rapidement en place un programme de conformité qui respecte les huit catégories d’exigences du CRTC.

 

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