20 ans plus tard, le Canada agit enfin contre les pourriels
1994, deux avocats créent le premier pourriel
C’est le 13 avril 1994 qu’Internet a connu son premier Spam comme le raconte si bien Ray Everett qui a cofondé le CAUCE (Coalition Against Unsolicited Commercial Email), le principal organisme de lutte contre le spam en Amérique du Nord. Il s’agissait d’un message de deux avocats véreux, Laurence Canter et Martha Siegel, qui essayaient de soutirer de l’argent aux candidats à la loterie de l’immigration américaine. Ce message n’a pas été envoyé par courriel mais publié via un script PERL dans les 6 000 groupes de discussion d’Usenet qui était la principale source d’information et d’expertise d’Internet avant que le web ne se développe.
Cette pollution fut particulièrement mal vue dans un univers Internet qui fonctionnait sur des principes de collaboration, de partage et d’entraide dans lequel aucune activité commerciale n’était pratiquée. La communauté s’est rapidement enflammée se mettant à saturer l’adresse courriel des fautifs ainsi que leur ligne de téléphone. Au lieu de comprendre la leçon, les deux avocats ont créé une compagnie de marketing électronique Cybersell Inc. qui offrait leurs services à tous les vendeurs de bebelles qui pensaient qu’inonder Usenet était une technique efficace de vente. Ils ont même publié un livre «How to Make a Fortune on the Information Superhighway : Everyone’s Guerrilla Guide to Marketing on the Internet and Other On-line Services» qui n’est pas exactement devenu un best-seller, avant de se faire rayer définitivement du barreau par la Cour Suprême du Tennesee.
Des pays qui légifèrent tôt
Peu après la Suède devenait en 1995 le premier pays à légiférer sur le pourriel avec son Marknadsföringslagen. Elle fut suivie par l’Autriche avec son Telecommunication Act en 1997 puis la Malaisie qui se dota du Communication and Multimedia Act en 1998, et de nombreux autres pays les années suivantes.
En 2002, la commission européenne se dotait d’une directive sur la vie privée et les communications électroniques qui interdit d’envoyer des messages automatisés sans consentement initial. L’année suivante, les États-Unis adoptaient le Can-Spam Act, encore en vigueur aujourd’hui. La même année, l’OCDE dont fait partie le Canada, mettait en place un groupe de travail anti-pourriel qui déboucha sur la création d’une boite à outil publiée en 2006 qui invitait tous les gouvernements qui ne l’avaient pas encore fait à se doter d’une législation anti-pourriel rigoureuse.
Pendant ce temps, le Canada traîne…
Il a fallu attendre 2004 pour que le gouvernement canadien commence à s’occuper du problème en annonçant un Plan d’action anti-pourriel qui consistait essentiellement à mettre en place un comité d’experts, le Groupe de travail sur le pourriel qui disposait d’une année pour remettre son rapport effectivement publié en mai 2005. Ce n’est que 4 ans plus tard qu’un premier projet, la loi C27 sur la protection du commerce électronique, est déposé. Malheureusement, après être passé en deuxième lecture au Sénat, le projet de loi est tué au feuilleton lorsque le 1er ministre Harper proroge le parlement en décembre 2009. Au mois d’avril 2010, le gouvernement dépose la loi C28 qui reprend la loi C27 avec des modifications mineures. Votée au parlement le 23 novembre 2010, elle est ensuite rapidement approuvée par le Sénat et signée par le gouverneur général le 15 décembre 2010.
… et traîne encore
Même si la loi C28 était votée, il a fallu attendre juin 2011 pour que le CRTC publie un projet de règlement et lance des consultations courues par tous les lobbys industriels s’y opposant. C’est seulement le 7 mars 2012 qu’est publiée la version finale du règlement. Mais la pression continue et débouche sur la publication en octobre 2012 de deux guides d’interprétation du règlement. Le 4 décembre 2013, le ministre James Moore promulgue la loi C28 et annonce qu’elle entrera (enfin) en vigueur à partir du premier juillet 2014, soit près de 20 ans après le premier pourriel et 10 ans après la présentation du plan d’action gouvernemental.
Trônant à la 8e place des pays générant le plus de pourriel, le Canada est considéré comme un paradis des spammeurs, un « honneur » qu’il partage avec la Russie et la Corée du Nord. Il ne reste plus qu’à espérer qu’à partir du 1er juillet, cette loi permettra réellement de baisser le volume de pourriel qui encombre nos réseaux et nos ordinateurs et qu’elle mettra hors service les 2 canadiens qui figurent dans le top 10 mondial des polluposteurs.